• François-Edouard Raynal (2)

    Nous avons abandonné François Edouard Raynal à Forest-Creek avec son compagnon Mac-Lure dans le précédent article

     

    Ils sont des centaines à gratter dans leur trou pour chercher de l'or et à rêver d'une future vie de rentier aisé.

    (Macarthey & Galbraith, Melbourne, 1852), lithograph with tint stone and hand-colouring, 45.8 x 69 cm National Gallery of Victoria, Melbourne Purchased 1960 (790–5)

    Forest Creek, Mount Alexander Diggings, 1852 by S. T. Gill

    La vie est rude et il risque plusieurs fois sa vie:

    - Il a l'imprudence de boire de l'eau vaseuse non bouillie et se trouve atteint d'un choléra. Il boit aussitôt un verre d'eau-de-vie avec du poivre, et le voilà guéri.

    -de redoutables mouches piquent le visage, les paupières et  en les chassant avec les mains boueuses, les mineurs s'enflamment les yeux et doivent rester plusieurs jours alités sans pouvoir les ouvrir. Il a des moments de désespoirs où il se croit définitivement privé de la vue

    Il ne travaille pas seul, il a des "employés"

    -Voulant vérifier l'étayage d'une galerie, la voute s'effondre sur lui.

    Il en ressort sans fractures, mais sans doute avec des lésions internes qui le condamne à retourner à Sidney pour 8 mois de convalescence.

    11 ans de travail dans les mines et la fortune n'est toujours pas là. Il envisage alors de quitter l'Australie pour rentrer en France et retrouver sa famille.

     

    En 1863, il est à Sidney et il y retrouve un ami français Charles Sarpy établi dans un négoce de draperies qui lui fait la proposition suivante:

      

    Il avait des raisons sérieuses de croire à l’existence d’une mine d’étain-argentifère dans l'île Campbell, située au-dessous de la Nouvelle-Zélande, dans le Grand Océan austral. Il pensait que cette île, qui n’est pas très grande, serait facile à explorer, et il comptait sur moi et sur l’expérience que j’avais acquise pour découvrir la mine. Son idée était que je partisse au commencement de la belle saison.

    […]

    Connaissant le caractère de Sarpy et avec quelle facilité il s’enthousiasmait, je lui demandai à réfléchir sur sa proposition. J’y songeai tout le reste du jour. Quel que fût mon désir de revoir ma famille et mon pays après un exil de dix-sept années, l’espoir de réaliser de sérieux bénéfices, de conquérir une fortune, me séduisit. Il avait raison d’ailleurs : si nous ne réussissions pas, il n’en résulterait pour moi qu’un retard de trois mois ; tandis que, si j’obtenais le succès que nous nous promettions, je retournerais dans ma patrie un an ou peut-être deux ans plus tard, avec une brillante position.
       

    Les deux hommes s’associent avec un américain, Thomas Musgrave, capitaine, excellent navigateur. Ils trouvèrent une goélette qui pouvait porter de soixante-quinze à quatre-vint tonneaux de marchandises : le Grafton

    Voilà notre équipage de 5 hommes,

    Le capitaine américain, Thomas Musgrave,

    les matelots Georges Harris, anglais d’une vingtaine d’année et Alexandre Mac-Larren, norvégien d’environ 28 ans,

    un cuisinier portugais de 23 ans Henri Forgès

    et notre explorateur François Edouard Raynal âgé de 33 ans

    Le Grafton prend la mer le 12 novembre 1863, direction les îles Campbel

     

     Traversée éprouvante dans la tempête, recherches infructueuses sur l'île et François Raynal malade alité pendant un mois dans sa cabine. Le 30 décembre ils décident de reprendre la mer pour Sidney.

     

    Sur ce trajet de retour ils décident de mettre le cap sur le groupe des Aukland. Ils contournent l'île Adam pour arriver au port de Carnley.

        

    François Raynal toujours malade est sur le pont pour  participer à l'entrée dans la baie et du bon air de la côte.

    Le soleil se couchant il retourne dormir dans sa cabine.

     

    Le 2 janvier ils parviennent à mouiller l'ancre dans une petite baie. 

    Mais une tempête arrache les deux ancres et la goelette est projetée sur des récifs. Le bateau est échoué, les instruments de navigations, les provisions, les effets personnels et les marins, sur le pont, protégé sous une toile goudronnée.

    Le jour se lève, et il faut mettre à l'eau le canot de sauvetage de 4mètres de long, 1,5 mètres de large et profond d'un demi mètre. 

    Les cinq naufragés parviennent à gagner la côte et s'installent sur l'île.

    A chaque marée, ils vont prélever des élèments de l'épave du Grafton pour se construire une maison.

    Début février, le capitaine, utilise une bouteille où il enferme des renseignements sur leur position. Le 7 février, la mer est assez calme pour qu'ils aillent placer un signal (perche avec un morceau de voile) sur un endroit découvert. La bouteille est suspendue au dessus du drapeau.

     

     

       

    Jusqu'au mois de juin, les cinq hommes s'organisent. Ils ne manquent pas de nourriture (pêche, chasse, racines). Ils améliorent leur intérieur, établissent un règlement de vie collective, explorent l'île, apprivoisent des perroquets. Durant l'hiver la nourriture se fait rare, mais ils survivent jusqu'à l'été (décembre). Ils entreprennent des relevés géographiques pour donner une utilité à leur séjour prolongé.

    Noël arrive, et aucun secours n'est venu à eux. François Raynal propose de construire un bateau pour rejoindre la Nouvelle Zélande. 

      

    Le lecteur se rappelle que, lorsque nous bâtîmes notre maison, il nous restait encore quelques provisions, sauvées du naufrage. Elles nous permirent de nous appliquer à ce travail sans avoir trop à nous occuper de faire la chasse aux lions de mer. Mais depuis, c’est seulement grâce à nos efforts réunis que nous avions pu nous procurer les moyens de vivre Maintenant, si nous venions mener à bonne fin notre entreprise, il fallait que deux d’entre nous se chargeasse à eux seuls de pourvoir aux besoins de tous Cette tâche fut bravement acceptée par George et Harry, les deux plus jeunes d’entre nous C’est sur eux seuls que retomba le dur labeur de la chasse, de la pêche, ainsi que la cuisine, la lessive, l’entretien des vêtements et le soin du ménage Travail énorme, écrasant, qu’ils soutinrent pendant les sept mois que dura la construction de la barque avec un courage, un dévouement qui ne se démentit pas à un seul instant Excepté dans deux ou trois occasions où, leur chasse ayant été infructueuse, nous dûmes leur prêter main-forte, ils suffirent à une besogne qui jusqu’alors nous avait occupés tous les cinq.

      

     

    Le 16 janvier, la forge est opérationnelle. 

    Ils usinent les premiers outils. 

    Le projet doit être révisé: l'embarquation ne pourra pas accueillir les cinq naufragés.

    Deux resteront sur l'île et les autres reviendront avec du secours.

     

     

        

    La barque est chargée du ravitaillement et le Capitaine Musgrave, Alexandre Mac-Larreu et François Raynal  quittent leurs camarades. A ce moment là, on ne peut imaginer quels sont ceux qui auront le meilleur sort: ceux qui vont affronter les tempêtes dans une coquille de noix ou ceux qui vont faire les Robinsons sur une île déserte.  

     

    La barque est baptisée Rescousse . Elle prend la mer le 22 juillet. Premières tempêtes dès les premiers jours. Durant tout le trajet François Raynal essaie de prendre des notes.

    Le matin du cinquième jour, l'île Stewart apparait à l'horizon. 

    Nous étions dans un tel état de souffrance et d’abattement que tout au plus éprouvâmes-nous un mouvement de joie, rapide et fugitif comme un éclair. D’ailleurs le vent était tout à fait tombé, nous ne pouvions plus avancer, et la mer, toujours très houleuse, nous ballotait çà et là au gré de ses courants.

    Le 24 juillet 1865, les navigateurs abordent.

    On entoure notre bateau. La fébrile énergie qui nous a soutenus dans cette lutte désespérée nous abandonne. Alick s’évanouit. Musgrave et moi, nous avons à peine la force de murmurer quelques réponses aux questions qui nous sont adressée.

    On nous aide à sortir de la barque, on nous soutient sous les bras, car nos jambes refusent de nous porter, on nous conduit à la demeure de l’Européen, située à une centaine de pas du rivage. Nous marchons en silence, mais pour ma part une immense joie, une reconnaissance profonde, inondent mon cœur.

     

      

    Ils sont merveilleusement accueillis par M. Cross. Anglais de naissance, marin de profession, qui avait abandonné la mer pour fonder une famille et cultiver son champ.  Après un bain, des habits propres et secs, un bon repas...

        

    Je ne me réveillai qu’au bout de vingt-quatre heures. Où étais-je ? A travers la douce somnolence dans laquelle je me complus quelques moments, je me sentais balancé comme sur le sein des vagues. J’ouvris les yeux ; en regardant autour de moi, je reconnus l’intérieur d’un batiment et crus à la continuation d’un rêve. Mes compagnons encore endormis étaient étendus à mes côté sur un matelas. Décidément je ne rêvais pas.

    Rappelant mes idées un peu confuses, je me levai, et, tandis que je cherchais une issue pour sortir de l’endroit où j’étais, mes camarades se réveillèrent à leur tour. Aussi surpris que moi de se trouver en pareil lieu, ils se levèrent précipitamment et m’accompagnèrent sur le pont, où nous eûmes bientôt l’explication de ce mystère.

    Nous étions à bord du Flying Scud, qui, toutes voiles dehors, venait d’entrer dans le détroit de Faveaux. 

     

    Le Flying Scud est le bateau de M. Cross. Il les conduit à Invercargill (Nouvelle Zelande Sud) pour y être soignés. Ils sont logés tous les trois chez un notable local. François-Edouard Raynal reste fragile, ses jambes restent enflées et il a peine à marcher.

    Le capitaine Musgrave se rend auprès des officiers du gouvernement déclarer le naufrage de Grafton et demande l'envoi de secours pour les deux naufragés qui sont restés sur l'île. Les démarches s'avèrent longues, trop longues. C'est M. Cross qui propose d'aller les chercher avec son cutter le Flying Scud. C'est un bateau habituellement utilisé pour le cabotage (un mat), mais qui semble assez performant pour naviguer jusqu'aux Auckland. Ils embarquent deux mois de vivres. Aucun officier n'acceptant de seconder M. Cross, incapable de naviguer sans  voir les côtes, c'est le capitaine Musgrave qui se propose de piloter le bateau.

    Suit le récit fait par le capitaine Musgrave...

    Les deux captifs de l'île sont secourus. Les cinq naufragés sont donc saufs.

    Retour à Melbourne. François Raynal fait don au musée du soufflet de forge,  d'une paire de souliers en peau de phoque et de divers instruments qu'il avait fabriqués sur l'île. Le musée de Melbourne accuse réception des objets suivants:

      

    Je dus attendre que la saison fût favorable pour franchir le cap Horn. Enfin, le 6 avril 1867, je partis de Sidney sur le John Masterman qui se rendait à Londres, et le 22 août, après une belle traversée, trop belle à mon gré et surtout trop longue, j’entrais dans la Tamise. Quelques jours après, le cœur débordant de joie, je débarquais en France, je foulais le sol natal… Il y avait vingt ans que je l’avais quitté !

      

    Les toponymes de la baie Musgrave, du mont Raynal (644 m) et de la pointe Raynal (lieu de pêche de François Raynal) au sud d'Epigwaitt sur les îles Auckland commémorent la vie des naufragés du Grafton.

     

    Les recensements de Valence d'Agen (incomplets jusqu'en 1896) ne me permettent pas de voir à partir de quelle date François-Edouard Raynal habite à Valence d'Agen. Je le retrouve en 1896, vivant seul, au 16 avenue de la gare.

    Je regarderai aux Archives si je trouve d'autres documents le concernant...

    Martine

     

     

    Les gravures utilisées dans cet article sont extraites du livre de JE F Raynal elles sont de A. de Neuville (il y en a 40.

    à lire aussi

    -l'article de La Croix https://www.la-croix.com/Archives/2012-07-09/Les-naufrages-des-Auckland-_NP_-2012-07-09-829098 qui analyse l'organisation de vie des naufragés à partir du récit du capitaine Musgrave et qui souligne le "génie" de François-Edouard Raynal.

    -sur Thomas Musgrave https://en.wikipedia.org/wiki/Thomas_Musgrave_(castaway)

    http://nzetc.victoria.ac.nz/tm/scholarly/tei-RayWrec-t1-back-d10.html

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 7 Août 2020 à 18:06

    Mille mercis pour le résumé de cette aventure magnifique et pourtant réelle. Et pour les détails de la vie de F.E.Raynal, "Monsieur Raynal", ainsi que l'appelait le capitaine Musgrave.

    C'est en lisant les écrits de Simon Leys, qui a préfacé l'édition 2011 des Naufragés des Auckland, que j'ai découvert cette belle histoire.

    Tout à l'opposé du Naufrage du Batavia.

    J'espère que le Cercle de la Marine de Bordeaux trouvera une occasion d'évoquer cette personnalité. Et dans ce cas, peut-être pourrai-je vous solliciter.

     

    Bien sincèrement.

    Jean-Michel Suche

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