Lundi 11 novembre 1918 VICTOIREEncore belle journée. Je sors dans la matinée. Les rues sont noires de monde. Devant la préfecture, gros rassemblement. Les figures sont joyeuses mais anxieuses. Ça y est-il ? On dit que la nouvelle de l'armistice serait parvenue ce matin à la poste et à la préfecture. On piétine devant le café de l'Europe, fébrile. Enfin, vers midi, la nouvelle est confirmée. Ce coup formidable et inattendu malgré tout me renverse. J'ai un peu cette faiblesse que je ressentis lors de la déclaration de guerre. Encore que ces formidables empires se sont écroulés comme des châteaux de cartes et que nous assistons à cette énorme tournante de l'histoire, que les rois absolus d'Allemagne fuient le spectre de la révolution. Soirée plus gaie que celle d'hier. Nous sommes allés nous promener dans les rues avec Mathé et Dédou1. Les rues sont noires de monde. On lance des confettis, des pétards. Quelques bons ivrognes égaient la foule. Jamais je n'avais vu cet aspect à Montauban qui est généralement si calme. 1 Sa femme et sa fille aînée Journal Henri Pouvillon |
Henri Pouvillon a 47 ans au début de la guerre.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Armistice_de_1918
Il était midi quand la nouvelle nous parvint à la caserne de Vitré. Il ne resta pas un seul soldat dans les chambres. Ce fut une dégringolade endiablée par les longs couloirs et la ruée vers le poste de police où l’on venait de placarder un télégramme annonçant en deux lignes laconiques la délivrance de millions d’hommes, la fin de leurs tortures, leur retour prochain à la vie civilisée. Louis Barthas Les carnets de guerre, Paris, Edition de la Découverte, 1987, 552 p. |
Louis Barthas est un tonnelier audois qui a tenu un journal durant toute la guerre. Il a 40 ans, deux enfants, lorsqu'il est mobilisé en 1915.
Les télégraphistes ont capté des radios. Nous savons qu’il est question d’armistice, que les Allemands ont demandé des conditions de paix au G.Q.G. Le dénouement approche.Un matin, vers six heures, un observateur nous réveille. - Ca y est. L’armistice à onze heures. - Qu’est-ce que tu dis ? - L’armistice à onze heures. C’est officiel. Nègre se lève, regarde sa montre. - Encore cinq heures de guerre ! Il endosse sa capote, prend sa canne. Je lui demande : - Où vas-tu ? - Je descends à Saint-Amarin. Je déserte, je vais me mettre à l’abri et je vous conseille de passer ces cinq heures au fond de la sape la plus profonde que vous trouverez, sans en sortir. Rentrez dans le ventre de notre mère la Terre et attendez l’accouchement. Nous ne sommes encore que des embryons, au seuil de la plus grande gésine qu’on ait vue. Dans cinq heures, nous naîtrons. - Mais qu’est-ce qu’on risque ? - Tout ! On n’a jamais tant risqué, on risque de recevoir le dernier obus. Nous sommes encore à la merci d’un artilleur mal luné, d’un barbare fanatique, d’un nationaliste en délire. Vous ne pensez pas, par hasard, que la guerre a tué tous les imbéciles ? C’est une race qui ne périra jamais. Il y avait sûrement un imbécile dans l’arche de Noé, et c’était le mâle le plus prolifique de ce radeau béni de Dieu ! Cachez-vous, je vous dis… Salut ! On se reverra en temps de paix.Il s’éloigne rapidement, il disparaît dans la brume du matin. - Au fond, il a raison, me dit l’observateur. - Eh bien, reste avec moi. Ici, on ne craint pas grand’chose. Il s’étend sur la couchette de Nègre. Aucun bruit de guerre ne trouble le matin. Nous allumons des cigarettes. Nous attendons. Onze heures. Un grand silence. Un grand étonnement. Puis une rumeur monte de la vallée, une autre lui répond de l’avant. C’est un jaillissement de cris dans les nefs de la forêt. Il semble que la terre exhale un long soupir. Il semble que de nos épaules tombe un poids énorme. Nos poitrines sont délivrées du cilice de l’angoisse : nous sommes définitivement sauvés. Cet instant se relie à 1914. La vie se lève comme une aube. L’avenir s’ouvre comme une avenue magnifique. Mais une avenue bordée de cyprès et de tombes. Quelque chose d’amer gâte notre joie, et notre jeunesse a beaucoup vieilli. Gabriel Chevallier, La Peur, Paris, Stock, 1930, 319 p. |
Gabriel Chevallier est mobilisé dès 1914, il a alors 23 ans
Il est écrivain et a écrit le roman autobiographique "La peur", publié une première fois en 1930, et réédité en 1951.
« Ce livre, tourné contre la guerre et publié pour la première fois en 1930, a connu la malchance de rencontrer une seconde guerre sur son chemin. En 1939, sa vente fut librement suspendue, par accord entre l'auteur et l'éditeur. Quand la guerre est là, ce n'est plus le moment d'avertir les gens qu'il s'agit d'une sinistre aventure aux conséquences imprévisibles. Il fallait le comprendre avant et agir en conséquence ».
Damien Odoul a réalisé un film que je trouve assez fidèle au roman.
L'armistice a été signé ce matin à 5h40, sans doute après une nuit de discussion, et l’événement a été annoncé officiellement vers 14h par des volées de cloches et annonces publiques. Immédiatement la ville a été pavoisée, et le soir illuminée. Surexcitation intense, vie normale suspendue, toute la population dans les rues. Dans la soirée ça a tournée légèrement à la bacchanale: chants, confettis, fusées, bousculades. Je n'ai pas partagé l'émotion de la foule comme je l'avais fait à la mobilisation. Quelque doute m'assombrit encore, car il me semble que nous entrons dans un nouvel inconnu. La paix va peut-être se présenter plus difficile encore que la guerre. L'Allemagne est en pleine révolution, Guillaume II a fui en Hollande avec le Kronprinz, on se bat à Berlin, le Wurtenberg et la Bavière ont renversé leurs rois, 20 grandes villes sont en émeute. Que va-t-il sortir de là? Cette révolution est-elle durable, ou Guillaume va-t-il revenir de l'Ile d'Elbe? Et dans cette Allemagne émiettée , avec qui pourrons-nous traiter sérieusement? Qui nous garantira les promesses consenties? N'allons-nous pas nous trouver en présence d'une seconde Russie en folle anarchie et aux gouvernements irresponsables? Tout cela est un gros inconnu. Mais encore une fois laissons les dieux. En attendant je suppose que l'armée va continuer sa marche en avant et occuper des territoires et des villes. Journal de Marcel Sémézies |
Marcel Sémézies est un poète, conférencier montalbanais. Il est administrateur de l'hôpital n°8 à Montauban.
Il a 60 ans au début de la guerre.
tout le Journal d'Henri Pouvillon du 1er novembre au 31 décembre 1918