Nature Morte Je suis né le 17 août 1906 à Angrie, petite commune de l’Anjou. Mon père était ouvrier carrier et ma mère blanchisseuse : en un mot, c’étaient de biens modestes travailleurs. Ce n’est pas une honte de rappeler la misère qui sévissait alors et s’installait dans nos maisons comme une maladie ronge un malade. Je devins très jeune orphelin : mon père mourut quand j’avais trois ans, ma mère fut longtemps souffrante, je restais seul à quatorze ans. Nous ne connaissions pas tout à fait l’extrême dénuement, mais presque. L’argent faisait défaut à la maison comme dans la plupart des familles ouvrières et, des centaines de fois, je suis parti ramasser du bois mort dans les futaies voisines du village pour pouvoir chauffer la maison. Ce pays de châteaux, de comtes, de marquis, de barons, n’était pas fait pour apporter aux travailleurs et aux paysans sans terre un paradis, il s’en fallait. Notre maître était propriétaire de l’immense domaine de Villegontier. Un jour, cherchant du bois mort, je le rencontrai. Je le revois encore devant moi, la figure courroucée, frappant de sa badine ses belles bottes marron foncé, et me disant que ce bois était à lui. J’avais douze ans, mais la misère endurcit ; je fis face : les chemins étaient communaux, ils ne lui appartenaient pas. Il était rouge de colère. Il préférait voir ce bois pourrir plutôt que de me laisser le prendre. Jules Fourrier |
Jules Fourrier est décédé le 31 juillet 1999 à l'âge de 93 ans, et est inhumé dans le petit cimetière de Cazals (à côté de Saint Antonin). Voilà longtemps que j'essaie de faire un article sur Jules que j'ai peu connu personnellement, mais je l'ai rencontré plusieurs fois dans les années 80 (du siècle dernier) et sutout j'en ai souvent entendu parler dans ces années-là. |
Lors d'une petite exercursion en famille, à Cazals, nous avons eu l'occasion de discuter avec un vieux monsieur qui prenait le soleil sur un banc devant sa maison. Il avait envie de discuter, nous étions ce jour là les seuls passants. Dans la conversation, nous avons parlé de Jules et il nous a montré sa maison. |
J'imaginais Jules, ouvrant ses volets tous les matins avec vue sur le crucifix de la place... Jules était entre autre, libre penseur... |
En 1983, il a publié ses mémoires, ce qui m'a permis de mieux connaître le personnage. J'ai retrouvé dans le livre, une petite lettre qu'il m'avait écrite:
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J'ai connu Jules comme président de la Libre Pensée du Tarn et Garonne.
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Le texte que j'ai reproduit en introduction de cet article est le début de ses mémoires.
A la mort de ma mère, je parrtis rejoindre ma grand-mère à Segré, sous préfecture de sept mille habitants située à vingt kilomètres de mon village natal. Il me restait encore dix-huit mois d'apprentissage à faire chez un patron qui me payait trois francs par jour pour douze heures de travail. Nous étions quatre ouvriers et je me trouvais dans un milieu où n'existait aucune prise de conscience. Parce que j'étais le plus jeune, on me traitait comme un domestique. Ainsi, tous les samedis, je devais briquer l'atelier pendant que le singe me hurlait à l'oreille sa devise: "marche toujours, mon gars!" J'avais alors quinze ans et je fréquantais les jeunes de mon âge, parmi lesquels se trouvaient de nombreux apprentis employés au dépôt des Chemins de fer de l'Etat [...] Je rentrai au club sportif local. Je faisais du cross et devins bientôt le meilleur ami du fils d'un mcanicien de la Compagnie de l'Ouest-Etat, militant au syndicat unitaire des cheminots (CGTU) [...] Arriver à Paris, ça ne me fait pas plus que ça. Le train, les grandes villes, je connais déjà, pour avoir sillonné l'Ouest à l'occasion des championnats de cross-country. Je m'imagine que c'est Nantes en plus grand, et je suis enthousiaste à la vie de cette vie nouvelle... Jules Fourrier dans "Graine rouge" |
Je ne vais pas reprendre dans le détail tout le parcours de vie de Jules Fourrier, mais en tracer les lignes principales. Son introduction révèle qu'à 12 ans, il avait déjà l'envie de combattre, et il a combattu sur bien des fronts:
Arrivé à Paris n'y connaissant personne, une petite valise à la main, et sa "toilette" dans l'autre, ou sont rangés ses blancs, son marteau, son couteau à mastic, son diamant et ses crochets, il est tout de suite embauché comme ouvrier peintre.
Commence la lutte syndicale.
Ensuite il s'engage en politique. Et onze ans après son arrivée à Paris, il est élu député communiste du Front Populaire en 1936, avec 500 voix d'avance sur le marquis de Tastes dans le XVe arrondissement de Paris.
En 1996, il est le dernier survivant des élus communistes du Front Populaire, et il témoigne ainsi:
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Durant la guerre d'Espagne, il est volontaire des Brigades Internationales. Il assure des convoyages (volontaires, courrier, matériel). C'est en Espagne qu'il fait connaissance avec celle qui sera sa deuxième épouse Petra Murillo (qui repose avec lui dans le cimetière de Cazals, décédée en 2008).
Il démissionne du Parti Communiste suite à la signature du pacte germano soviétique en 1939. Sur liste noire, il risque alors l'élimination physique.
Il est mobilisé, puis démobilisé et vote les pleins pouvoir à Pétain. Même s'il l'a tout de suite regretté c'est une chose qui lui sera toujours reproché.
En 1940, il arrive dans la Creuse où son épouse est réfugiée et il noue des contacts avec un premier groupe de résistance.
Il est arrêté sur dénonciation le 9 janvier 1944 et déporté. Transféré au siège de la gestapo de Limoges, impasse Tivoli, il est atrocement torturé notamment par Joseph Meyer agent français du SD ( il a retrouvé une photo de lui qu'il a mis dans son livre de mémoires avec la légende : "on m'a donné la photo de mon tortionnaire de Limoges).
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17/08/1906 |
Angrie (49) |
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Il passe un mois à Buchenwald , puis il part à Mauthausen et Gusen.
Nous sommes quatre-vingt-dix-mille, entassés dans les barraquements de Mauthausen t Gusen, prolétaires de ces entreprises commerciales que sonr les camps de la mort hitlériens. Les carrières de pierre sont exploitées scientifiquement et à bon compte. La main d'oeuvre est gratuite et toujours renouvelée, puisque les bagnards porteurs de pierres sont supprimés et remplacés dès que leur rendement n'est plus suffisant. Condamnés à mort, ils portent la mention N.N , Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard, et montent par n'importe quel temps l'escalier aux cent quatre-vingt dix marches de la carrière, chargés du lourd fardeau qu'un simple palan aurait suffit à déplacer. Sadisme oblige. Nous sommes dans un abattoir humain. En plus de l'extermination systématique de ceux qu'ils ne jugent plus utiles, les nazis se livrent à des crimes pour le plaisir: on précipite les prisonniers du haut de la carrière, on les pique à la benzine dans la colonne vertébrale, on leur plonge la tête dans un tonneau, on les livre aux gueules des molosses. Notre ration quotidienne se compose d'un quart d'eau chaude noircie de glands en guise de café, puis d'un litre de soupe aux trois quarts d'eau, de quelques rutabagas ou betteraves fourragères, de deux cents grammes de pain noir, quarante grammes de saucisson et, de temps en temps, cinquante grammes de margarine. Déjà insignifiantes, les rations sont encore réduites par l'avidité des chefs de bloc, qui confisquent à leur profit une bonne partie de la nourriture. Affamés, les déportés volent à leur tour, dévorent n'importe quoi, des résidus de poubelles, voir même les produits de graissage des machines. Graine Rouge Jules Fourrier |
(et d'autres récits de souffrance, humilation, sadisme...)
Le 5 mai, c'est le départ pour le gazage...
Nous avons compris! Pas question d'y aller. C'est la rébellion et, tout d'un coup, ils sont impuissants devant la masse, commencent à se débander, et nous les voyons prendre le large par camions entiers. Avec une vingtaine de copains de la FAI, et quelques camarades français, nous sommes rapidement maîtres d'une partie du camp. Ce sont les anarchistes espagnols qui ont fait le gros du travail car, bien organisés dès les premières heures (certains d'entre eux sont là depuis 1940 et leur spécialisation de cuisiniers leur a permis de survivre), ils ont pris d'assaut les miradors et récupéré la mitrailleuse qui s'y trouve. A nos côtés, les staliniens sont bien décidés à prendre la direction du camp pour y appliquer leur politique. Mais nous n'avons pas l'intention de nous faire marcher sur les pieds et nous nous regroupons pour nous opposer à leur pression, avec les copains espagnols, quelques gaullistes et des trotskystes belges. |
Des communistes allemands infiltrés dans les SS du camp prennent part à l'insurection. . Et puis, c'est l'arrivée des américains... la LIBERATION.
Mais l'arrivée à Paris est difficile, les déportés sont mal soignés et beaucoup meurent.
Jules retrouve ses trois enfants, il pèse 40 kg.
Puis de retour à Aubusson, c'est la reprise du "combat" avec la création de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés-Internés-Résistants Patriotes)
A partir de 1957, Jules est à Toulouse et à Montauban. En 1960, il participe à la création du PSU et en démissionne à la fin de la guerre d'Algérie. Et en 1973, il adhère à la IVe Internationale.
Lors de la campagne des présidentielles de 1974, il y a 45 ans...
En 1978, à 71 ans, Jules Fourrier est candidat avec Claude Prat (professeur au lycée Bourdelle) aux élections législatives de la 1ere circonscription du Tarn et Garonne |
Les dernières années de sa vie, il les passera à Cazals. Et quand on le voyait, sur le pas de sa porte, avec sa casquette rivée sur la tête, on ne pouvait pas imaginer son parcours de vie à travers le siècle dernier. Je me suis amusée à lire aux AD82, les professions de foi de ces élections de 1978
pour mémoire, je joindrai plus tard un lien vers un PDF, contenant toutes les professions de foi. Plus de 40 ans ont passé... |
Martine