• Extraits du journal d'Henri Pouvillon

    extraits du journal d'Henri Pouvillon  transcrits par Sophie

     

    1er mars 1930

    Il a plu à verse tout aujourd'hui et il fait si sombre qu'on est obligé de laisser l'électricité allumée.

    2 mars 1930

    Il pleut une pluie tiède et triste.

    3 mars 1930

    Il pleut une pluie fine et lugubre. Je téléphone à Capdeville1, on me répond qu'il est impossible de passer à Ardus, l'eau ayant crû d'une façon alarmante. Je descends au quai, c'est effrayant, l'eau a atteint le niveau des maisons Lafforgue, Coyne et Roussoulières et le tablier du Pont-Neuf. Elle gronde comme un tonnerre continu contre les robustes piles du vieux pont charriant des arbres, des charrettes, des pailliers, des lits, des armoires. Les figures sont tristes sous les parapluies. Je rencontre Pierre et Coulonge au Pont-Neuf. Nous allons à Lamote ? en voiture. L'eau commence à envahir Villebourbon. Nous remontons en hâte et nous allons au plateau. Tout Sapiac est envahi. Les tribunes du football disparaissent jusqu'au toit. Nous descendons devant Sémézies. Les trois ponts et toute la plaine depuis le coteau de Vignarneau disparaissent sous l'eau. On ne reconnaît plus rien. Je remonte et nous allons avec Masson au Bridou voir ce que devient Mme Roussel. À Lavergne, nous voyons la plaine inondée jusqu'aux coteaux de la Tanguine. Le pont de Montricoux est comique. L'eau arrive au parapet. Le moulin de Capéran est éventré. Nous passons 1 heure hébétés à regarder la masse jaunâtre de l'eau à l'assaut du pont. Retour à Montauban. Passé l'après-midi sur les quais à entendre les maisons s'écrouler au milieu d'un nuage de poussière. On dit que Corbarieu, Reyniès et Villemur sont détruits.

    4 mars 1930

    Le temps s'est mis au beau cette nuit et le soleil, un soleil de printemps, va éclairer cette horreur. Nous partons avec Masson au Bridou voir ce que devient Mme Roussel. L'eau a beaucoup baissé depuis hier, elle passe complètement sous les arches du pont de Montricoux complètement envahi hier. Nous arrivons au Bridou sans trop de difficulté. La maison a été envahie par 50cm d'eau. La vieille Roussel est d'un moral excellent. La maison est pleine d'une boue visqueuse et glacée, il n'y a pas eu de mal. Nous repartons à Montauban par le même chemin. Arrêt à Négrepelisse où nous nous arrêtons sur le Château. La plaine est encore largement inondée. Après déjeuner, je tente d'aller à Capdeville, mais arrivé à Birac, je trouve la plaine inondée jusqu'au coteau. On dirait d'immenses polders. Je reviens et emmène Marguerite jusqu'à Villemade. Là, c'est effrayant. On ne voit que de l'eau, des fermes écroulées, tout est inondé jusqu'à l'infini. Nous sommes revenus au crépuscule à Montauban.

    5 mars 1930

    Il fait un temps superbe. Je descends sur le quai. Les eaux se retirent lentement. Il n'y a plus que la maison du Dr Lafforgue et celle de Roussoulières. Je rencontre Malpel et Rollin, nous allons ensemble dans sa camionnette à Villemade voir si nous pouvons rendre quelques services aux sinsitrés. L'eau s'est retirée depuis hier soir et nous pouvons avancer tout doucement sur la route couverte de limon et parfois d'eau. Toutes les fermes sont à peu près détruites, c'est horrible. Les gens travaillent à extraire des animaux encore vivants sous les décombres. Nous rentrons à Montauban couverts de boue. Je déjeune et part pour Capdeville. Je pense arriver à Ardus. Toute la rue d'Ardus-Plage n'est que ruine. Des Sénégalais déblaient. Le château est encore entouré d'eau. J'arrive enfin à Capdeville. Rien n'a été abîmé ici sauf quelques arbres arrachés à la rive. Je repars par Albias où la route est encore sous l'eau. Je retourne et passe par Réalville. La voie ferrée est suspendue en l'air et tout le gravier du ballast est répandu dans la plaine.

    6 mars 1930

    Journée magnifique et presque chaude. Le soleil illumine cette désolation avec tendresse. Nous avons pu avoir des journaux. Le désastre a englobé 9 départements : le Lot, l'Aveyron, le Gard, l’Hérault, l'Aude, le Tarn-et-Garonne, la Haute-Garonne, le Lot-et-Garonne et la Gironde. La maison du Dr Lafforgue s'est écroulée ce matin. Après déjeuner, j'ai accompagné Masson au Bridou, nous avons pu passer par la Sorbonne et Bioule qui est moins détruit que je ne croyais, mais il y a quand même pas mal de dégâts. Rien n'a encore bougé chez la vieille Roussel. Nous rentrons par Réalville et Albias. Là, nous prenons la route de Ste Rafine. C'est effrayant, là, pas une métairie debout dans cette plaine. Pas une, sauf la maison Châteauvieux. Tout est anéanti. Je suis malade de tristesse et d'émotion ce soir.

    7 mars 1930

    Le temps est sombre ce matin, il souffle un vent un peu aigre. La lecture des journaux, les photos qu'ils donnent des inondations sont émouvants. Après déjeuner, je suis allé passer la soirée à Capdeville, je suis reparti pour Montauban bientôt après. Tout est en ruines dans la rue d'Ardus-Plage et, dans la grand-rue, deux maison sont déjà tombées. Je suis allé au café en rentrant à Montauban, l'électricité est revenue, les rues sont moins lugubres et ont un peu moins l'air des villes du front pendant la guerre.

    8 mars 1930

    Encore une fort belle journée tiède et lumineuse avec un merveilleux soleil qui éclaire toute cette horreur. Les journaux sont pleins de détails horribles. Il paraît qu'à Moissac ce fut particulièrement épouvantable. La digue s'étant rompue, l'eau est arrivée avec une vitesse prodigieuse et si de nombreux spectateurs du cirque T??? n'étaient sortis à ce moment et donné l'alarme, on aurait à déplorer un nombre de morts bien plus considérable, bien qu'il soit déjà assez élevé.

    Cet après-midi, nous sommes allés avec Masson faire un pélerinage aux ruines. On pouvait passer au pont. Nous sommes descendus dans la rue Gasseras souillée d'une boue visqueuse et bordée de maisons écroulées ou de façades derrière lesquelles il n'y a rien. Place de la Lai ???, l'eau était à 3m. Encore des ruines. De là, nous avons descendu le faubourg Toulousain : des ruines complètes, des effondrements ou des façades sans toit ni maison. Mais l'horreur, c'est le faubourg Sapiacou, qui n'a plus de rue, de quai, et qui n'est qu'un amoncellement de ruines d'où monte une épouvantable odeur de vidange et de corps en putréfaction.

    9 mars 1930

    Encore une délicieuse journée mais le baromètre baisse de plus en plus. J'ai été me promener sur la plateau. On voit les maisons détruites dans la plaine de Sapiac et sur les murs de celles qui subsistent le niveau fantastique de l'eau. J'ai voulu descendre à Sapiac, on ne laissait pas passer

    10 mars 1930

    Il a plu toute la journée. Je ne lis plus dans le journaux que ce qui a rapport au désastre. On va assimiler le sinistre de l'inondation aux dommages de guerre ce qui remonte singulièrement les sinistrés.

    11 mars 1930

    Il a plu toute la journée. Les journaux sont pleins de détails navrants sur les suites de l'inondation. Des souscriptions multiples venant d'un peu partout s'élèvent à des chiffres respectables – celle de la presse à Paris est déjà à 7 millions – et vont apporter quelque soulagement aux malheureux sinistrés.

     

    1Propriété familiale entre Ardus et Cos

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  • Commentaires

    1
    tatoomsutra
    Mercredi 11 Juillet 2018 à 08:27

    Très émouvant et tellement bien raconté. On a l'impression de le suivre et de voir cette horreur de nos propres yeux en sa compagnie.

    Béatrice

    2
    tatoomsutra
    Mercredi 11 Juillet 2018 à 09:22

    Et c'est un ancêtre à Sophie ?

    Béatrice

      • Mercredi 11 Juillet 2018 à 09:31

        Elle répondra si elle veut.

      • sdoum82
        Mercredi 11 Juillet 2018 à 10:17

        Oui, Henri était mon grand-père.

    3
    claudie
    Mercredi 11 Juillet 2018 à 13:11

    Ma grand-mère me parlait d'inondations à Montauban mais c'est avant 1909 (elle n'était pas mariée) on est venu les sauver , son père et ses 2 filles en barque.

    pour mémoire ma grand-mère est née en 1888, alors de quelle inondation s'agit-il ?

     

      • Mercredi 11 Juillet 2018 à 13:29

        On parle des inondations de 1930 qui ont été si terribles sur Moissac, Montauban, Reyniès dans le Tarn et Garonne, terribles aussi à Villemur

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