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FOUASSIER François ou l'histoire d'un suicidé
François Fouassier n'est pas un Tarn et Garonnais (mais il aurait pu l'être). J'ai demandé à Christian (résident Tarn et Garonnais) de faire cet article. Sur le Tarn et Garonne, nous avons dénombré une dizaine de suicidés classés "non mort pour la France"
Militaires suicidés durant le conflit de 14 18, Statut de "Non Mort pour la France", cas du poilu Mayennais François Fouassier.
Au cours d’une soirée d’automne 2016, ayant eu connaissance du succès du site « Mémoire des Hommes », j’ai eu la curiosité de le consulter à propos de mon arrière-grand-père maternel, François Fouassier.
Je connaissais très peu de chose de son parcours. La mémoire familiale m'avait simplement transmis qu'il était né le 28 novembre 1873 à Chemazé en Mayenne et décédé à l'hôpital militaire mixte de Laval, à l'âge de 42 ans, le 19 mai 1916, des suites de maladies contractées durant sa mobilisation (gelures des membres et maladie pulmonaire). Il était alors le père de 4 enfants, dont ma grand-mère maternelle, âgée de 10 ans au moment du décès de son père.
Sur le site des archives départementales j'ai pu avoir accès à son livret matricule n° 322 classe 1893 qui m'a indiqué son régiment d'affectation au moment de la mobilisation d'août 14, le
25ème Régiment d'Infanterie Territoriale de Laval.
Le 25 ème RIT était l’un des 145 Régiments d’infanterie Territoriale, unités composées de militaires âgés de 34 à 39 ans. La vocation initiale de ces unités était de réaliser des missions de soutien logistique à proximité du front : creusement et entretien de tranchées, confortement et construction d'ouvrages, manutentions, nettoyage du champ de bataille corvées de corps…. Pour autant ces régiments constitués de « pépères » (surnom donné à ces militaires en raison de leur âge) furent aussi engagés en 1ère ligne, comme en témoigne l’historique du 25ème RIT en dénombrant 638 tués 106 disparus et 1683 blessés au cours du conflit.
Le livret matricule n° 322 de François Fouassier portait la mention "Mort pour la France". En poursuivant mes recherches sur le site national "Mémoire des hommes" j'ai découvert qu'il avait été classé dans une curieuse catégorie dénommée "Non Mort pour la France", incohérente avec la mention portée sur son livret matricule, et j'ai pu avoir accès à une fiche portant des renseignements sur les conditions de son décès : "Genre de mort : Suicide"
l'édition du "Républicain de Laval" en date du 25 mai 2016, où un petit entrefilet signalait qu'il s'était pendu dans sa chambre de casernement, place du Palais à Laval.
Le statut du militaire "Mort pour la France" (MPF) ouvrait, dès cette époque, des droits : le droit d'avoir son nom porté sur un monument à la mémoire des morts, le droit d'avoir une concession perpétuelle dans un cimetière militaire ou un carré militaire d'un cimetière communal, le bénéfice d'une pension pour la veuve du militaire et du statut de pupille de la nation pour ses enfants. La loi prévoit que l'authentification du statut de "Mort pour la France" est matérialisée par la mention "Mort pour la France" portée en marge de l'acte d'état civil du décès. A contrario le classement "Non Mort pour la France" (NMPF) exclu du bénéfice de tous ces droits.
J'ai pu vérifier aux archives départementales que l'acte de décès de mon arrière grand-père ne portait pas cette mention, confirmant son classement dans la catégorie "Non Mort pour la France", en contradiction avec les mentions portées sur son livret matricule et sa mention dans la liste des morts au champ d'honneur dressée dans l'historique de son régiment.
Quelques recherches rapides sur Internet m'ont convaincu que l'origine de ce classement tenait au fait qu'il s'était suicidé.
Les militaires français qui sont décédés durant le conflit comprennent 1,3 millions « MPF » et 93 000 « NMPF ». Parmi ces 93 000 militaires « NMPF », il y a, selon les spécialistes de ces questions, entre 3830 et 4061 suicidés, ils côtoient les fusillés, morts des suites de maladie non imputables au conflit…
Ces recherches m’ont aussi permis de découvrir un sujet encore tabou, objet de recherches approfondies : Le sort réservé aux militaires suicidés de la grande guerre.
La culture administrative militaire de l'époque, peu nuancée, considérait le suicide comme une mort indigne, assimilable à une forme de désertion.
Les officiers chargés d'apprécier "le genre de mort" ont parfois atténué cette rigueur en trouvant une rédaction adaptée "excusant" le suicide, en le contextualisant avec une situation de guerre ou la maladie. Ceci explique pourquoi quelques suicidés ont pu bénéficier du classement « MPF » et échapper au triste sort réservé aux « NMPF ».
Toutefois, Il semble que cette humanité ait souvent pris la forme d'une solidarité de corps s'appliquant fréquemment aux militaires officiers et beaucoup plus rarement aux militaires du rang. Les officiers chargés de cette besogne savaient bien que ce classement déterminait totalement l'indemnisation des familles.
Cette rigueur d'appréciation a été atténuée au fil du temps, au début des années 20, lorsqu'il a été admis que le suicide d'un militaire était "pensionnable". L'injustice de ces situations avait probablement ému les familles en capacité de faire valoir leurs droits. Il est probable que mon arrière-grand-mère, accablée par la nécessité quotidienne de subvenir seule aux besoins de ses quatre enfants, dépourvue du niveau d'instruction qui lui aurait permis de faire valoir ses droits, n'a jamais eu connaissance de ces évolutions et même du fait qu'elle aurait pu en bénéficier.
Un siècle plus tard, j'ai souhaité obtenir réparation partielle et symbolique de cette injustice subie par mon arrière-grand-père, sa veuve et ses quatre enfants. J'ai engagé auprès de l'ONACVG (Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre) une demande de reconnaissance du statut de "Mort pour la France" de mon arrière-grand-père. Cette demande a reçu une issue favorable le 17 juillet 2017. La Ville de Laval a procédé à la rectification de son acte de décès qui porte désormais la mention "Mort pour la France". J'ai obtenu que la Ville de Château Gontier, dernière domiciliation de mon arrière-grand-père, inscrive définitivement son nom sur le monument aux morts et qu'une croix portant son nom soit dressée dans le carré militaire du cimetière. Il ne m'a pas été possible de localiser l'endroit où avait été inhumé mon arrière-grand-père. Pour en savoir plus sur les militaires suicidés de la grande guerre, quelques liens :
- Extraits de la revue "Médecine et armée" parue en 2015, "Les Pensions militaires d’invalidités en 1914-18", P Cristau, pages 93 à 96,
- Pages 14-18, Forum, 3830 suicidés,
- À propos de suicides de soldats,
- Les suicides et la guerre,
- Colloque Craonne-Soissons 12-13 novembre 2004 (Actes publiés en 2005 : Rémy Cazals, Emmanuelle Picard, Denis Rolland (éd.), La Grande Guerre, Pratiques et expériences, Toulouse, Privat)
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Commentaires
Absoluement magnifique, instructif, émouvant et passionnant. En plus quelle belle plume ! Et cette photo, ce regard ! On a envie de le prendre dans nos bras, de lui dire que tout ira bien, de le sortir de ce cauchemard. J'en suis toute émue.
La famille savait-elle les conditions du décès ? Si oui, je pense que c'est qque chose que l'on ébruitait pas. Les suicides de militaires et même de civiles étaient vus comme une honte. La religion y était pour beaucoup, je pense. C'est curieux, aujourd'hui on vit dans un monde violent et en même temps tellement plus humain si on y réfléchit.
Béatrice
bonjour Béatrice. Ce que Christian ne dit pas c'est que le 11 novembre dernier la presse locale a saisi l'occasion de faire un article original et a titré sur "guerre 14-18 il veut réhabilité son aïeul" . Dans toutes les éditions de Pays de Loire il y a eu cet article. Même FR3 l'a interviewé. Les choses sont ensuite allées très vite. Bon, ça ne change rien à la vie de ce pauvre homme et à celle de sa famille la génération suivante, mais bon...
La famille ne savait rien de ce suicide. Pour eux il est mort à cause de "gelures", il était hospitalisé pour soin. Christian a fait les recherches auprès de l'armée, ils n'ont pas trouvé de fiche médicale. On imagine, que souffrant ou handicapé, avec la charge d'une famille de 4 enfants (+ toutes les horreurs qu'il a du voir), il a pensé que sa famille s'en sortirait mieux sans lui.
Je regarde sur le Tarn et Garonne dans les causes des "non mort pour la France" il y a des "maladie contractée en service", "accident", "tuberculose", "suicide", maladie aggravée en service", "maladie non contractée en service" et un "fusillé"... Mais il y a des suicidés "mort pour la France". C'est pour ça que Christian a fait cette démarche.
Sa mère nous a raconté que sa fille (grand mère de Christian) avait été placée à 14 ans domestique chez un géomètre et que le jour de l'Armistice (alors que tout le monde faisait la fête) elle était enfermée pour garder une personne âgée handicapée...