• Les Grandes Manoeuvres de 1913 (3)

    Je n'imaginais pas que les extraits du Journal d'Henri Pouvillon du 13 septembre au 18 septembre transmis par Sophie, donneraient matière à 3 articles.

    En relisant la Presse de cette période, on réalise bien les tensions entre pays. Une certaine inquiétude règne, mais personne n'imagine ce qui arrivera quelques mois plus tard.

    J'ai cherché des contemporains de cette période qui auraient pu, comme Henri Pouvillon, tenir un journal.

    Pour le moment j'en ai trouvé deux. La différence avec celui d'Henri Pouvillon, c'est qu'il s'agit de textes qui ont été repris par les auteurs lorqu'ils ont publié leur journal.

    Il s'agit de Marcel Sémézies (né en 1858) dans Mémoires de ma vie et de mon temps et de André Delmas (né en 1899) dans Mémoires d'un instituteur syndicaliste.  

     

    Marcel Sémézies

     

     

    [Durant cet été 1913 il se trouve donc à Montauban et il peut assister aux Grandes manœuvres d’armée d’]une importance exceptionnelle et [qui]devinrent un événement militaire. Elles se déroulèrent en entier entre Toulouse et Montauban. Comme I’on y faisait un essai de mobilisation générale du corps armée et comme I’on y essayait de nouvelles tactiques de combat, toutes choses que le bon sens in­diquait de garder discrètement pour soi, on s'empressa avec cet absurde illogisme qui distingue nos gouvernements, d'y convier toute l’Europe et de dévoiler tous nos secrets. Toutes les puissances envoyèrent des délégations militaires, il y eut un train spécial d’officiers étrangers dont le quartier général fut installé à Monlauban. Le gouvernement se livra pour eux à des dépenses folles, avant-coureur du gaspillage  de 1914. Les officiers étrangers furent logés en ville dans les meilleures maisons particulières, chacun ayant à son service un cuirassier envoyé de Paris et une automobile de luxe envoyée aussi de Paris. La grande salle de la marie fut affectée à leur table et l’Hôtel du Midi chargé de leur servir matin et soir des repas somptueux. Tout un service d’officiers d’Etat Major fut mis à leurs ordres pour les guider et leur tenir compagnie. Tous les jours, 50 ou 60 limousines  les prenaient après le déjeuner, les portaient au centre des opérations de l’armée et les ramenaient pour le repas du soir. La  République fut splendidement royale . La municipalite avait voulu loger, chez moi deux étrangers mais je m’y refusai nettement : je jugeais cela stupide et ne voulus  pas participer à cette sottise.

    Or, un jour, dans le trajet de Montauban à Grisolles, à un tournant brusque mal pris par un conducteur parisien, la limousine portant un des délégués allemand, le major de Winterleld capota et l’Allemand eut le ventre broyé. Avec l’Allemagne, c'était une guigne. Le blessé était intransportable, on l’installa dans la maison bourgeoise la plus proche dont on expulsa les habitants en leur payant une formidable indemnité, et on mit autour du blessé trois médecins militaires, dont le Dr Voivenel de Toulouse, et  le Dr  Petit, de  Montauban, plus un  ou deux officiers d’Etat  Major et tout un service de valets et d’infirmières. Un grand spécialiste de Paris vint aider le chirurgiens militaires à recoudre le ventre de l'Allemand, et tout ce qu'il fallait faire fut fait sur le plus grand pied. Le Kaiser daigna remercier La République et distribua aux chirurgiens et aux généraux de la région une profusion de croix allemandes. Win­terleld vécut ainsi là près d'un an aux frais de la France, se déclarant toujours intrans­portable. et sa femme vint l'y rejoindre et s'y installer jusqu'à sa guérison. Sa femme ? Il  parut  plus t ard  presque  prouvé que la  très  belle  jeune  femme venue ainsi habiter parmi nous n'était pas la baronne de Winterfeld, mais un agent exceptionnel- lement intelligent du Service de Renseignements de l'Allemagne."

    [...] A la déclaration  de guerre, les Winterfeld étaient encore à Grisolles [...]. On mit le blessé et sa compagne dans un wagon de luxe et on les dirigea sur St Se­bastian […] Là comme par enchantement, l'intransportable major se trouva si bien guéri qu’il rejoignit le front allemand comme lieutenant-colonel. L'armistice le trouva général et il fit partie de la délégation envoyée au Maréchal Foch pour régler les détails de la convention. On lui avait donné la Légion d'Honneur à Grisolles, comme geste de courtoisie, et il arriva chez le Maréchal avec sa croix. Le Maréchal marcha droit sur lui et tendant le doigt vers la croix, lui dit sèchement : « Avant tout, Monsieur. Ôtez cela»>. Docile, comme les Allemands le sont toujours devant un ges­te fort, le général baron de Winterfeld détacha la décoration française et la mit dans sa poche. L’épisode de l'accident de Grisolles et de l'espionne déguisée en épouse alarmée est un détail intéressant de l'histoire franco-allemande.

     

     

    André Delmas

     

     

    Encore fallait-il qu’un incident de caractère dramatique secouât l’opinion. Dirai-je que, dans notre département, nous crûmes discerner cet évènement historique dans un accident de la route survenu à l’automne 1913 au cours des grandes manœuvres du sud-ouest ? Il s’agissait de montrer à tous les attachés militaires étrangers de quoi était capable l'armée française sur une grande étendue de territoire débarrassée des récoltes de l'année. Le président de la République, Raymond Poincaré, nouvellement élu, était venu assister à la phase décisive des opérations. Je l'avais vu traverser la ville en voiture découverte, le maire à ses côtés, escorté par des cuirassiers à cheval en tenue de parade qu'on avait fait venir spécialement de Tours. Plus que le président, c'était l'escorte cara­colante qui avait frappé mon esprit. Avec une cavalerie aussi brillante, les risques d'une attitude provocante de leur part devaient apparaître clairement aux Allemands. J'allai me rendre compte moi-même de l'effet qu'avaient pu produire sur les attachés militaires étrangers le compor­tement de nos régiments pendant les manœuvres. J'étais au premier rang, près du grand portail du musée Ingres, pour contempler les beaux uniformes de ces attachés lors du dîner de gala que leur offrait un soir le gouvernement de la République. L'attaché militaire allemand était le plus attendu. Il ne vint pas, et pour cause. Il avait été victime d'un très grave accident d'automobile sur la route de Toulouse, au dan­gereux tournant de la côte de Canals. Le lieutenant-colonel von Winterfeld avait été si grièvement atteint qu'on l'avait jugé intransportable ; on l'avait recueilli dans une maison de Grisolles et les médecins ne pouvaient pas se prononcer sur ses chances de survie.

    Les bruits les plus extravagants circulèrent. Qui conduisait la voi­ture ? Un militaire français ou un soldat allemand ? L'accident résul­tait-il d'un attentat, d'un sabotage de l'auto, de l'imprudence d'un atte­lage français mal placé dans le tournant ? On avait déclenché des guerres pour des motifs plus futiles dans le passé. Si le colonel trépassait, Guil­laume II ne voudrait-il pas rendre la France entière responsable de cette mort ?

    Von Winterfeld survécut. Quelques mois plus tard, il rentra en Allemagne. On ne vit reparaître son nom dans nos journaux qu'à la fin de l'année 1918. Il était alors général et ce fut lui qui reçut de Foch le texte des conditions de l'armistice dans le wagon de Rethondes.

     

     

     

    peut-être d'autres témoignages à suivre...

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